Vieillir chez soi grâce à Google et à Amazon

AUTEUR(S) ET TITRES : Jessica Percy Campbell

ÉTABLISSEMENT(S) AFFILIÉ(S) : Université de Victoria, Département des sciences politiques

REMERCIEMENTS : Ce travail de doctorat a été financé par le projet Big Data Surveillance et la bourse d’études en politiques Michael F. Harcourt d’AGE-WELL. Supervisé par : Dr Colin Bennett


Qu’est-ce qui vous a incitée à travailler à ce projet?

Lorsque mon grand-père est décédé, il y a quelques années, des amis et des membres de ma famille ont proposé à ma grand-mère d’utiliser la technologie (par ex., caméras de sécurité activées par WIFI, détecteurs de chutes, etc.). En tant que spécialiste de la surveillance et de la protection des renseignements personnels, je me suis mise à faire des recherches sur les technologies numériques pour les personnes âgées. J’ai rapidement découvert que nombre de blogues et de sites Web axés sur les personnes âgées présentaient les haut-parleurs intelligents de Google et Amazon comme des outils favorables au vieillissement à domicile. On dit qu’ils peuvent servir d’aides à la mobilité, de compagnons numériques, de rappel de prise de médicaments/rendez-vous, entre autres. Cependant, le contenu des interactions avec les assistants vocaux peut être de nature très personnelle, car il peut concerner la santé et le bien-être. De plus, les données vocales peuvent, en elles-mêmes, être considérées comme sensibles, car des renseignements personnels (comme l’état de santé) peuvent être tirés de l’intonation et d’autres contenus audibles. Étant donné que les haut-parleurs intelligents sont intégrés aux assistants vocaux, comme Alexa et l’Assistant Google, quels types de données comportementales sont recueillies à des fins commerciales? De plus, comment obtient-on un consentement éclairé pour recueillir les renseignements personnels des personnes âgées?

Veuillez résumer brièvement le projet.

En termes simples, mon travail sert à remettre en question les applications de surveillance et de protection des renseignements personnels des dispositifs d’assistance vocale de Google et d’Amazon pour les personnes âgées. Comme la technologie de l’Internet des objets (IdO) et de l’aide vocale prend une place de plus en plus prépondérante dans la vie de tous les jours, je me demande quelles sont les limites de la collecte des données sensibles à des fins commerciales. Google est le champion par excellence du « capitalisme de la surveillance », la pratique qui consiste à transformer les données comportementales en profit pour des publicités ciblées (par ex., voir Zuboff 2019). De la même manière, les données comportementales recueillies par Amazon sont versées dans la plateforme d’achat du site pour prévoir les achats probables et les proposer aux utilisateurs. Si les personnes âgées utilisent des haut-parleurs intelligents grâce à des fonctionnalités comme les rappels de prise de médicaments, la surveillance à domicile et le compagnonnage numérique, est-ce que leurs données doivent aussi être recueillies à des fins commerciales? De plus, lorsqu’une personne autre que le principal utilisateur met en place un haut-parleur intelligent pour une personne âgée de sa famille et clique sur « J’accepte » au bas des conditions d’utilisation, dans quelle mesure s’agit-il réellement d’un consentement éclairé de collecte de données comportementales?

Ces questions seront explorées lors d’entrevues qualitatives avec des experts en surveillance et en protection des renseignements personnels, dans le cadre de groupes de discussion avec des personnes âgées qui utilisent des haut-parleurs intelligents en Colombie-Britannique ainsi que lors d’analyses documentaires des politiques sur la protection des renseignements personnels et du matériel de marketing.

Quelles sont certaines des applications concrètes présentes et/ou futures de ce travail?

La sensibilisation aux pratiques de surveillance commerciale de ces entreprises pourrait être utile non seulement aux personnes âgées, mais aussi aux utilisateurs de haut-parleurs intelligents de tous âges. Idéalement, ce projet pourrait encourager les utilisateurs à limiter au maximum la transmission de leurs renseignements personnels, à effacer fréquemment leurs enregistrements vocaux et à établir un solide mot de passe unique à deux facteurs d’authentification pour tous leurs appareils de l’IdO. Il pourrait aussi encourager les entreprises de l’IdO à intégrer des principes de protection des renseignements personnels (PbD) dans leurs produits pour assurer le respect adéquat de la vie privée des utilisateurs.

Le cas échéant, veuillez indiquer les effets politiques importants potentiels de ce projet.

Ce projet a aussi des conséquences sur la politique de protection des renseignements personnels du Canada. Dans nombre de provinces/territoires, les entreprises sont déjà soumises à des limites légales concernant la collecte de données comportementales relatives aux enfants de moins de 13 ans, mais les adultes de plus de 80 ans ne bénéficient pas d’une telle protection supplémentaire. Or, si on encourage les personnes âgées à utiliser des applications en santé sur Internet et des dispositifs de l’IdO pour vieillir chez elles et non pas dans une maison de soins, il faut que leur vie privée soit adéquatement respectée. Actuellement, les modèles d’avis et de consentement liés à la protection des renseignements personnels ne sont pas suffisamment robustes pour empêcher les particuliers de transmettre trop de renseignements personnels à des entreprises qui les utilisent ensuite à des fins commerciales. Idéalement, il faudrait remédier à ce problème par des politiques fédérales et provinciales plus fortes qui encouragent la mise en place d’une protection plus équitable des renseignements personnels des personnes âgées.

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